La convivialité des outils informatisés, leur utilisation plus intuitive... favorise leur diffusion au sein de la société. L'utilisation de tels outils est vulgarisée, engendrant des changements significatifs dans le paysage socio-culturel : de nouvelles pratiques de sociabilité et de communication numériques émergent. Malgré cela, la remarque de Duchateau, en 1992, reste d'actualité : « utiliser les outils [...] ne suffit pas pour maitriser les concepts de l'informatique [il est] utopique de croire que les gens vont apprendre des choses rien que parce qu'ils ont utilisé des outils informatiques » (Duchateau, 1992).
C'est dans ce contexte d'informatisation croissante de la société, et de vulgarisation des outils informatisés que l'enseignement de l'informatique est de remis à l'ordre du jour (nouvelles options et spécialité, création d'un CAPES informatique en 2020, etc.). La communication proposée interroge le rapport entre les usages des outils informatisés par les enfants et leur apprentissage scolaire de l'informatique. Ce travail est issu d'une thèse en cours de réalisation, dirigée par Cédric Fluckiger (Université de Lille, Laboratoire CIREL) et de Sandra Nogry (Université de Cergy-Pontoise, Laboratoire Paragraphe), et inscrite dans le projet ANR IE-CARE (Informatique à l'Ecole : Conceptualisations, Accompagnement, Ressources).
Quelles relations existe-t-il entre les pratiques numérique et l'enseignement de l'informatique ? Répondre à cette question nécessite de définir un certain nombre de concepts.
L'enseignement scolaire de l'informatique n'est pas récent (Baron & Drot-Delange, 2016). Il est fonction des objectifs visés par les politiques publiques de chaque époque. L'enseignement de l'informatique arriva vers 1970 dans les filières technologiques du secondaire. En 1985, le plan Informatique Pour Tous permit aux écoles de s'équiper en matériels informatiques et de souligner l'importance de l'enseignement de l'informatique (Baudé, 2015 & 2017). Dès les années 2000, le Brevet Informatique et Internet instauré permet de valider les compétences en informatique des élèves (Cerisier, 2006 ; Fluckiger & Bart, 2012). Dès 2012, un enseignement de spécialité « informatique et sciences du numérique » est proposé aux classes de terminale S. Actuellement (depuis 2016), sont proposés une option « informatique et création numérique » dès la première, une initiation au code informatique dès le collège et un enseignement de la programmation informatique dès le primaire. L'enseignement de l'informatique est inscrit dans le socle commun de connaissances, de compétences et de culture au sein du premier domaine (les langages pour penser et communiquer) visant notamment « l'apprentissage [...] des langages informatiques et des médias [...] » (Décret n° 2015-372), et doit « donner à tous les citoyens les clés du monde du futur, qui sera encore bien plus numérique et donc informatisé [...] afin qu'ils le comprennent et puissent participer en conscience à ses choix et à son évolution [...] » (Académie des Sciences, 2013).
Parallèlement à ces enseignements, les outils informatisés ne sont pas étrangers aux enfants : les études quantitatives françaises et internationales (CREDOC, IPSOS, EU Kids Online...) montrent que les jeunes utilisent largement les appareils informatisés en dehors des temps scolaires. Des études sociologiques (Plowman & al., 2008 ; Metton-Gayon, 2009 ; Denouël & Granjon, 2011) ont mis en évidence la place centrale des outils informatisés dans le quotidien des plus jeunes : les enfants ont un recours massif au numérique, tout au long de la journée (hormis les temps scolaires) via divers appareils (smartphone, tablette, console de jeu, etc.) (Hadopi, 2016). Les enfants développent ainsi, dès leur plus jeune âge, un ensemble de pratiques du numérique, une culture numérique définie par Fluckiger comme « l'ensemble de valeurs, de connaissances et de pratiques qui impliquent l'usage d'outils informatisés, notamment les pratiques de consommation médiatique et culturelle, de communication et d'expression de soi » (Fluckiger, 2008).
Les enfants arrivent avec ce bagage de culture numérique en classe et se retrouvent confrontés à un enseignement de l'informatique visant le développement d'une culture informatique. Nous faisons l'hypothèse que la culture numérique des enfants peut influencer (et être influencée) par l'apprentissage de l'informatique à l'école. Il apparait donc ici une tension entre premièrement, la culture numérique des élèves, et deuxièmement leur apprentissage scolaire de l'informatique. Pour mieux comprendre ce concept de culture informatique, nous faisons appel à la distinction informatique/numérique proposée par Baron & Drot-Delange : informatique et numérique se distinguent par le caractère social (laissant place à l'interprétation) ou mathématique (sans interprétation possible) de l'information traitée (Baron & Drot-Delange, 2015). Nous proposons de distinguer les cultures numérique et informatique : la culture numérique se caractériserait par une faible technicité & un traitement social de l'information, la culture informatique se caractériserait par une plus grande technicité & un traitement numérique de l'information (Baron & Drot-Delange, 2015 ; Jouët, 1990 ; Martinand, 1994).
Il s'agit d'éclairer la relation entre pratiques numériques et apprentissage de l'informatique, en examinant plus particulièrement la manière dont la plus ou moins grande technicité des activités extrascolaires des enfants influence leur apprentissage scolaire de l'informatique.