Lors des enquêtes menées auprès des enseignants des universités congolaises dans la période allant de mars 2017 à février 2019, dans le cadre de notre recherche doctorale, Whatsapp et Facebook ont été présentés par ceux-ci comme des outils indispensables à la mise à disposition rapide et efficace de leurs ressources éducatives.
51,81% des répondants sur les 158 enseignants interrogés ont affirmé recourir à ces réseaux sociaux pour interagir avec leurs étudiants. Ils ont créé des groupes Whatsapp et/ou Facebook dans lesquels, ils postent leurs sujets de TP, vulgarisent des communiqués et discutent sur des sujets d'actualités. D'autres, les utilisent comme rédaction virtuelle pour les exercices en pratique du journalisme.
Outils de transfert accéléré de l'information, ces réseaux sociaux qui balayent les frontières et les limites physiques des déplacements permettent à ces enseignants d'instaurer une continuité entre eux (d'abord) ainsi qu'avec leurs étudiants.
Ces réseaux sociaux aident les enseignent des universités congolaises à franchir les barrières communicationnelles posées d'une part, par l'absence d'une infrastructure technologique adéquate au sein de leurs universités, et d'autre part, par l'inexistence d'une culture numérique soutenue.
Les utilisateurs (enseignants et étudiants) se sentent à l'aise de collaborer à travers des outils qui leur sont familiers. Des outils qui font partis de leur quotidien. Faisant ainsi de ces deux réseaux sociaux (les plus répandus au Congo) des véritables palliatifs aux outils pédagogiques disponibles sur Internet mais difficilement accessible dans leurs universités. Surtout que peu d'entre ces universités disposent d'une connexion Internet à haut débit.
En nous appuyant sur le résultat des études menées par José Do-Nascimento (2004), le mode d'appropriation de ces deux réseaux sociaux par les enseignants congolais nous paraît comme émancipatrice.
En effet, à l'opposé de pays industrialisés présentant des desseins caractéristiques d'une société de consommation à la recherche du toujours plus (plus de profits pour les entreprises, plus de simplicité pour le consommateur dans les actes de la vie quotidienne), les desseins d'appropriation au Congo, marqués par la pénurie, répondent à un besoin différent et spécifique : celui d'accéder à des ressources qui amplifient la marge de manœuvre des acteurs sociaux visant, d'une part, la recherche de palliatifs aux carences de l'environnement politique et économique et, d'autre part, la quête permanente d'opportunités au sein d'un espace social de développement inégal.
Ce qui situe, par ailleurs, notre réflexion dans le courant de la sociologie des usages. Nous ambitionnons, à partir d'une analyse des usages par (l'approche de) l'appropriation, de clarifier le débat tournant autour de deux écoles de pensées (courant évolutionniste et courant révolutionnaire) nées des mutations au sein de l'économie des grands pays industrialisés, lesquelles transformations ont déclenché de larges débats concernant l'orientation la mieux adaptée au développement économique des pays du Tiers Monde (Nikhil Sinha,1994). Il est question pour nous de présenter une forme d'appropriation spécifique (lié au besoin) à une société bien déterminée (caractérisée par la pénurie).
Ainsi à travers cette communication, nous exposons les pratiques pédagogiques de ces réseaux sociaux par les enseignants évoluant dans quatre universités congolaises. Ce, à partir d'une double observation ethnographique basée, premièrement sur la collecte des « pratiques déclarées » de ces enseignants afin de définir les profils d'usagers, les habitudes et les fréquences d'usages ainsi que les significations d'usages. En deuxième lieu, nous analysons les « pratiques observées » directement sur les groupes Whatsapp et Facebook afin de ressortir ce qui est réellement fait avec ces réseaux sociaux.
Tout en insistant, comme le rappelle Geneviève Vidal (2012), sur le contexte socio-culturel de cette appropriation des technologies par les usagers car : « il ne faut en effet pas nier les positions spécifiques, voire inégales entre usagers, selon leur genre, leur formation, leurs revenus et d'autant plus entre émetteurs et usagers, même si ces derniers sont souvent émetteurs de leurs espaces personnels de communication et de publication pour diffuser leurs subjectivités et connaissances » (16-17).
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